André Juillard, Nelly Maurel
La Honte, 50 nuances de rouge
« Je ne me suis pas étonné de voir les hommes coupables, mais je suis souvent étonné de ne pas les voir honteux. »
Swift
Certains se disent décomplexés, d’autres ne s’acquittent jamais du déshonneur. Quel que soit son degré, la honte dévoile ce que nous sommes par une mise à nu métaphorique.
En juxtaposant littéralement des dessins de nu et des récits de honte souvent de façon surprenante et incongrue, André Juillard et, l’artiste plasticienne et écrivaine, Nelly Maurel interrogent notre rapport à la pudeur et à l’intimité.
Les dessins d’André Juillard composant ce recueil sont tous inédits
À chaque dessin correspond une phrase et chaque phrase modifie la façon dont on regarde le dessin. Le rapport texte-image fait pressentir au lecteur une histoire sans pour autant la lui imposer : chacun est libre d’imaginer ou non celle-ci. La nouvelle de Nelly Maurel qui ouvre le recueil laisse entrevoir ce que pourrait être chaque phrase si elle avait accouché d’une fiction.
Le tout est élaboré selon un principe de narration engendrant une suite de dessins sans bande, même si le résultat final s’apparente cependant, par son caractère hybride, à la figuration narrative. Le lecteur est libre d’imaginer ce que cela aurait donné si, en ôtant les phrases, on avait réalisé un « simple » art-book comme il s’en publie habituellement.
À qui ne se contente pas de feuilleter les pages de ce livre mais de les lire, tout s’avère progressivement plus complexe qu’il n’y paraît. Ce qui change la donne, c’est, courant à côté des images, le texte écrit par Nelly Maurel, écrivaine mais aussi artiste contemporaine. Son travail, qui va du dessin à la peinture en passant par le collage, est multiforme et repose précisément sur le jeu entre le mot et l’image.
Manifestement les dessins d’André Juillard, qui ne sont jamais pléonastiques, n’ont pas été réalisés pour illustrer le propos du texte. Juxtaposées à ceux-ci, les phrases engendrent une incongruité, celle-là même qui est au cœur du travail de Nelly Maurel. Il pourra en résulter un malaise inhabituel pour les amateurs de Juillard qui, en signant lui aussi ce volume, leur adresse un message assez provocant.
Cette effronterie insolite et inattendue invite à regarder son travail différemment.
Un véritable régal pour les yeux. À dévorer sans honte aucune.
Frédéric Vidal, Casemate