Ahmadou Bamba

Le shaykh Ahmadou Bamba (1853-1957) n’est pas seulement un maître spirituel, un poète et un théologien, c’est aussi une figure fondamentale du Sénégal dont il a contribué à sa libération.  Il marqua son histoire par des initiatives dont les effets se poursuivent encore aujourd’hui et par l’exemple de sa résistance pacifique aux colonisateurs.

Il est le fondateur de la ville sainte de Touba, du courant soufi des mourides (le terme provient de murid, qui désigne l’aspirant – à la réalisation spirituelle). C’est un personnage essentiel aussi bien de l’histoire sénégalaise que du monde islamique et du soufisme.

Sa confrérie, très importante au Sénégal, s’est répandue en Afrique tout comme dans le reste du monde (Europe, Amérique et Asie notamment).

Né vers 1853-1855 à Mbacké contemporaine, il fut initié à la voie soufie qadirite par son père qui dirigeait la confrérie dans leur pays. Grand savant et poète, c’est lui aussi qui lui enseigna l’art d’écrire en vers. Il le surnomma Bamba en mémoire d’un de ses maîtres spirituels qui provenait d’une localité appelée justement Bamba.

Grand juriste, il maîtrisa très jeune les fondements de la Loi musulmane. Il étudia aussi les autres sciences religieuses : commentaires et modes de récitations coraniques, science du hadîth, lexicographie, mais aussi grammaire et linguistique.

Sa famille était protégée par les princes du pays et le farouche opposant à la colonisation Lat-Dior mais il s’éloigna des cercles du pouvoir pour des raisons religieuses ; il rejettera de même les expéditions guerrières suicidaires à l’encontre du colonisateur.

Figure majeure du soufisme sénégalais, il se rattachera aux confréries shadilites et tijanites. Il avait vingt-huit ans à la mort de son père. Suite à une vision spirituelle, il devint un « serviteur du Prophète » ; c’est suite à une autre vision qu’il entreprit de bâtir la cité de ses rêves, Touba, qui attirera de nombreux visiteurs. Une affluence telle qu’elle lui vaudra la méfiance de l’administration française qui le calomniera, le présentant comme un danger pour l’ordre public ; c’est dans cette période qu’il achèvera son ouvrage, Les chemins du Paradis.

Tout en restant méfiant, il acceptera de recevoir Lat-Dior et, après la mort de ce dernier, le prince du Djolof se rattachera au soufisme. Les autorités craindront alors un complot et un soulèvement ; l’arrestation du shaykh est ordonnée mais il refuse de prendre les armes pour autant. En 1895, il sera exilé près de huit ans dans l'hostile forêt vierge du Gabon, où il vécut toutes sortes d’épreuve, dont plusieurs tentatives d’assassinat ; jamais il ne cessera d’écrire, en même temps qu’il y vécut en ermite, coupé de tout. Même revenu au Sénégal fin 1902, il vivra en captivité. Il sera en effet à nouveau déporté, cette fois en Mauritanie, jusqu’en 1907. Quand il finit par revenir, l’accès à Touba, le centre spirituel mouride auquel il avait donné le jour, lui sera interdit, toujours par crainte d’un soulèvement.

Son action sociale fut importante. Il sera responsable d’un certain nombre de mesures qui entraîneront un véritable redressement économique du pays et de son miracle agricole (un djihad vert qui se poursuit encore aujourd’hui) ; la France finit même par ne plus voir en lui un ennemi et lui remit la légion d’honneur en dépit du fait qu’il ait toujours traité avec un souverain mépris les multiples tentatives de manipulation des forces coloniales. « Je vous fais savoir, écrira-t-il à l’autorité locale, que je suis le captif de Dieu, et ne reconnais pas d’autre autorité que Lui. » Il refusa d’ailleurs de porter la légion d’honneur. 

Il mourut en juillet 1927 et fut enterré dans la Grande Mosquée de Touba où sa tombe est devenue un important lieu de pèlerinage ;

Il refusa toujours d’écrire dans une autre langue que l’arabe, langue du Prophète, et qu’il maîtrisait parfaitement, comme en témoignent ses œuvres, toujours composées dans un style très pur, dépourvu de tout élément superflu. En plus de ses innombrables poèmes et prières à la louange du Prince de la création, il écrivit des ouvrages didactiques, dont le poème Les chemins du Paradis est sans doute le plus célèbre exemple.

Son enseignement repose sur trois axes : l'instruction (ta‘alim), l'éducation (tarbiyya) et la tarqiyya. Le premier recoupe l'enseignement religieux et traditionnel des écoles coraniques. Le second est plus proprement soufi et concerne la soumission volontaire du mouride à un maître. La tarqiyya, concerne ceux qui ont atteint la fin de son enseignement et porte sur la façon dont le disciple doit s’employer à aider les autres et contribuer au tissu social. Toute son œuvre et son enseignement privilégient la voie active ; il était favorable au fait que les nobles et les riches effectuent les basses tâches afin de leur apprendre l'humilité.

Sa vie et son œuvre sont un enseignement de tolérance et de foi.  On lui doit ces vers :

Mes vers sont fiables, sois-en convaincu !
Fais-t’en une bonne opinion, et montre-toi constant !
Que mon peu de renommée parmi mes contemporains
Ne te conduise pas à t’en détourner ;
Et que ma condition d’homme noir, au fil du temps,
Ne t’en détourne pas davantage !
Le plus noble des serviteurs, au regard de Dieu,
Est sans conteste le plus pieux ;
Un corps sombre ne saurait chez un homme (fatâ)
Signifier la stupidité ou l’incompréhension.

Traduit de l’arabe par Abdallah Penot

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